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 cours mauvais lecteurs (T. Barège)

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T. Barège





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MessageSujet: cours mauvais lecteurs (T. Barège)   cours mauvais lecteurs (T. Barège) EmptyMar 5 Mai - 12:54

Il semblerait que tout le monde n'a pas eu mes cours, donc les voici :


Atelier lecture (T. Barège)


1. Cours très succinct sur les « mauvais lecteurs ».

1.1. Point de départ : Don Quichotte.
Notions : pour simplifier,
Réel ≠ fiction ; fiction = création d’un être humain, ce qui est le fruit de son imagination.
Réalité = ce qui est lié au réel, et qui ne se passe que dans le réel.

Rappel : Don Quichotte devient fou (c’est en tout cas ce que nous dit le narrateur du roman) à force de lire des romans de chevalerie. Il devient « fou » car il ne fait plus (ou n’a jamais fait) la différence entre le réel (ou plutôt ce qui est le réel à son niveau), c’est-à-dire le monde dans lequel il vit, et la fiction, les mondes auxquels appartiennent les différents héros des romans qu’il lit. Pour lui, le monde créé par un écrivain et le monde dans lequel vit l’écrivain est le même.

Tableau niveaux de réel: (désolé pour le tableau, mais je n'ai pas pu faire mieux ici)
Nv = niveau ; nr = narrateur ; C= cervantes ; DQ = D. Quichotte ; R= réel ; F=fiction ; HC = héros de chevalerie
Le lecteur « critique » qui sait que toute fiction est une illusion, une imitation de la réalité voit les choses ainsi :

Monde ou niveau de réel / Monde créé par … / Héros / Réel ou fiction
Nv 0 = celui du lecteur, moi. / Dieu, si on y croit… / Ø, C peut-être ? / R
Nv 1 = celui du nr / C / nr et ≠ « auteurs » de DQ / F de degré 1, elle est 1 partie de R
Nv 2 = celui de DQ / Nr + ≠ «auteurs» de DQ / DQ / F d° 2, elle est 1 partie de F de d° 1.
Nv 3 = celui des HC / Les ≠ auteurs des romans de chev. / Chev. errants / F de d° 3, elle est 1 partie de F de d° 2.


Don Quichotte, lui, voit les choses ainsi :

Monde ou niveau de réel / Monde créé par… / Héros / R ou F
Niveau 2 (unique) ; N2 = N3 etc… / Dieu / D. Quichotte, Chevaliers errants… / Réel

DQ ne peut évidemment pas savoir qu'il est lui-même un personnage de fiction, mais il ne comprend pas plus que les héros qui peuplent ses livres ne sont que fictifs.


Pour DQ tout est sur le même plan. Puisqu’il croit que la fiction est la réalité, il pense que la réalité fonctionne comme la fiction ; c’est-à-dire que l’on peut être un chevalier errant en armure au 17° s. Il va même plus loin, il adapte sa vision du réel pour qu’elle soit conforme à ce qu’il sait de la fiction. C’est ainsi qu’il prend les moulins pour des géants, car dans le monde merveilleux de la chevalerie, ce qui ressemble le plus à des moulins = géants, contre lesquels le chevalier doit se battre.

DQ est un « mauvais » lecteur parce qu’il ne fait pas la part des choses, parce qu’il ne comprend pas que la fiction et le monde réel n’ont pas les mêmes règles, le même fonctionnement, et donc, qu’une action « normale » dans le monde de la fiction est incongrue dans le monde réel.

DQ n’est le seul « mauvais lecteur » de la littérature.

1.2. Deux autres exemples

1.2.1. Emma Bovary

Charles Dantzig, dans son Dictionnaire égoïste de la littérature française dit à peu près que Don Quichotte est le meilleur roman de Flaubert.
 Pourquoi ?
Cf Mme Bovary. Le personnage principal de ce roman, Emma Bovary, dans sa jeunesse puis plus tard, lit beaucoup de romans sentimentaux et se berce d’illusions sur la venue du prince charmant. Elle épouse un médecin sans ambition, banal, Charles Bovary et se retrouve « coincée » dans une vie de province complètement à l’opposé de ce à quoi elle aspirait. Dès lors, quand surgit Rodolphe, un jeune noble élégant, qui est ce qui ressemble le plus à l’image de l’homme aimable, elle en tombe amoureuse etc… croit que c’est le début d’une grande histoire romanesque alors que pour Rodolphe, ce n’est absolument pas le cas. De même, elle s’échappe à Rouen, « la grande ville », pour tenter de mener la grande vie comme on la mène à Paris dans ses romans.
Elle n’a pas compris que ce qu’elle lisait dans ses romans n’était pas transportable dans sa vie à elle. Elle ne fait pas suffisamment la différence entre la fiction et le réel. Son « cas » est moins « grave » que celui de DQ, mais il est de même nature.
Dans L’éducation sentimentale, un peu même problème = jeunes gens pensent pouvoir vivre la même vie que dans les romans, s’illusionnent. (un peu même thème dans Illusions perdues de Balzac). => Flaubert héritier de DQ, les lecteurs qu’il met en scène ne sont pas assez critiques.
A trop vouloir croire ce que nous dit la littérature, et en particulier les romans, on finit par rater sa vie en voulant faire de sa vie un roman.

// moderne : Bridget Jones (mutatis mutandis). Elle a trop lu les contes de fées, donc attend le prince charmant sans comprendre que dans la vraie vie, il n’y a pas de prince charmant, elle confond ses lectures et le monde réel, c’est une « mauvaise lectrice ».
1.2.2. Charlus, lecteur de Balzac

Dans la Recherche, Proust met en scène Charlus, personnage homosexuel, grand lecteur de Balzac (Proust l’était aussi). Charlus, lorsqu’il rencontre le jeune Narrateur, tente de le séduire. Comment ?
 En reproduisant une scène des Illusions perdues de Balzac.

[Passage chez Proust : A la recherche du temps perdu, 2e édition de la Pléiade par JY Tadié, vol. II p. 580-592. Passage chez Balzac : Illusions perdues dans Comédie humaine, 2e édition de la Pléiade, volume V, p. 689-709.]

En effet, dans le roman de Balzac (1843), un jeune homme, Lucien de Rubempré tente de conquérir Paris grâce à ses talents littéraires. = échec, donc retour en province, endetté. Il est prêt à se suicider lorsqu’il rencontre Carlos Herrera. Cet homme est un ecclésiastique espagnol dont le sens moral est douteux (s’arrange beaucoup avec Dieu et la morale). CH lui propose de payer ses dettes, et même de le faire vivre comme un prince, il lui offre la possibilité de prendre sa revanche sur Paris où il a été humilié. En échange de finances à volonté, LR sera la représentation de CH dans le monde. CH lui offrira le pouvoir, il partagera ses secrets sur les uns et les autres (il les tient de cette manière). LR accepte ce pacte faustien (rappel Faust = personnage de la culture allemande qui accepte un pacte avec le Diable – il lui vend son âme – pour avoir tout dans sa vie terrestre : savoir, amour etc… selon les versions.) sans comprendre réellement ce que CH attend de lui, LR (grand naïf) se plie à ses conditions, conditions qui incluent aussi d’accepter le désir que CH éprouve pour lui.

Retour à Proust : Charlus fait miroiter au Narrateur le pouvoir et la révélation de certains secrets du monde qui lui ouvriront toutes les portes etc, en gros les mêmes choses que CH à LR… C (Charlus) se prend pour CH en train se séduire LR. Cela a marché chez Balzac, et donc pense que cela peut marcher pour lui. Notez ressemblance dans les noms Charlus / Carlos. C ne comprend pas que ce qui fonctionne dans les romans ne marche pas dans la vie réelle. Il ne faut pas confondre réel / fiction et essayer de faire de sa vie un roman => échec pour C aussi. Le Narrateur très naïf aussi ne comprend même pas qu’il s’agit d’une tentative de séduction et fait rater l’entreprise de C.
En voulant faire de sa vie un roman, C a gâché sa vie et ses talents littéraires, il aurait pu devenir un grand écrivain, mais non, il ne travaillera jamais, et restera ce que Proust appelle « un célibataire de l’art », un amateur qui a gâché ses talents.
A fin du passage = C repart en calèche, après l’avoir choisie selon son cocher. On comprend ensuite que la calèche sert de lieu pour accueillir les ébats de C avec le cocher.

 // avec Flaubert et Mme Bovary : dans un passage célèbre, Emma a des relations sexuelles dans une calèche (le passage a fait couler beaucoup d’encre…). Les deux mauvais lecteurs se retrouvent, se confondent dans une scène similaire de « baisade » (dixit Flaubert).
 Double héritage du texte de Proust = Balzac + Flaubert : C = CH + EB.

Mais : C lecteur de Balzac, aurait dû se méfier et savoir que son projet était voué à l’échec. En effet, dans Le père Goriot, le personnage de CH, qui s’appelle alors Vautrin essaye de séduire Rastignac mais échoue. Comme C a lu Père Goriot, aurait dû penser à cet échec.
Dans la scène de Balzac (IP) CH se sert d’une référence à une pièce de théâtre, la Venise sauvée d’Otway (où il y a des développements sur l’amitié) pour faire comprendre à LR ce qu’il attend de lui.
 Donc C imite CH imitant lui-même une pièce de théâtre et Proust imite Balzac qui imite Otway.
 Niveau 0 = nous, lecteurs et Proust, lecteur de Balzac ; N1 = C, lecteur de Balzac ; N2 = CH, lecteur de Otway.
 Ou selon le schéma, peut-être plus compréhensible pour certains ?
Nous, lecteurs de [Proust, lecteur de (Balzac, lecteur de {Otway})]
Ou bien encore :
nous, lecteurs de (la Recherche et C, lecteur de [IP et CH, lecteur de {La Venise sauvé}]).
 Phénomène de « mise en abyme » = reproduction en plus petit à l’intérieur d’une œuvre (littéraire, picturale etc…) du motif principal de cet œuvre. Type = boîte de vache qui rit. La boite présente une vache qui rit, avec des boucles d’oreille en forme de boite de VQR, présentant elles-mêmes une vache arborant ces mêmes boites aux oreilles, boites sur lesquelles sont dessinées une VQR etc à l’infini. L’exemple type à ce sujet est le roman de Gide Les Faux-Monnayeurs : roman (1er) dans lequel un écrivain écrit un roman intitulé Les Faux-Monnayeurs (2e roman) et ce même écrivain tient un journal dans lequel il note l’évolution de son roman (le 2e) ; le 1er roman contient donc la critique du 2e roman. Notez aussi que Gide lui-même a tenu, lorsqu’il écrivait son roman, un Journal des Faux-Monnayeurs. La mise en abyme est donc totale.

Cl° temporaire, le bon lecteur est celui qui arrive à distinguer les niveaux fictionnels et réels.
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T. Barège





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MessageSujet: cours mauvais lecteurs 2 (T. Barège)   cours mauvais lecteurs (T. Barège) EmptyMar 5 Mai - 12:55

1.3. Brassens, Proust : même combat ?

Suite du cours.
Analyse de la chanson de Brassens « la route aux quatre chansons » (que vous avez dans le polycopié distribué en début d’année. Si vous ne l’avez pas, envoyez-moi un mail pour que j’en laisse des exemplaires chez Mme Plisson.) je développe surtout ce qui est en rapport avec la lecture.

Intro : Brassens = chanteur du XX° très attaché à la poésie ; a chanté et mis en musique ≠ auteurs (F. Jammes, Aragon, Lamartine, Banville, Hugo, Villon, Verlaine etc…). Les éléments intertextuels sont nombreux dans ses textes. Dans la route aux quatre chansons (RQC), le jeu de références construit le texte de la chanson. En effet, celle-ci évoque au fil de ses 4 strophes (§), 4 chansons populaires françaises, anonymes et anciennes, plus ou moins connues du grand public. Brassens construit sa chanson autour des emprunts qu’il fait aux textes des 4 chansons. Thème fondamental = lecture comme on le verra.
Le « je », le poète, va tester ce que disent les paroles des 3 1res chansons. Les chansons pas choisies au hasard = toutes plus ou moins coquines.
Pbq : une poétique de la désillusion, leçon de lecture.
3 tps :
1/ de la ronde au linéaire, de la chansonnette à la narration
2/ illusions perdues
3/ du côté de Proust ?

1/ de la ronde au linéaire, de la ritournelle à la narration
B utilise 4 chansons (voir textes en annexe), chacune correspond à une § :
§1 : Sur la route de Dijon
§2 : Sur le pont d'Avignon
§3 : Dans la prison de Nantes
§4 : Auprès de ma blonde

a/ Surgissement du je

Début « je » => chanson + perso alors que autres totalement impersonnelles.
Façon de s’approprier les chansons en question. Chansons qui appartiennent au collectif => prend une histoire perso, « prennent vie ».

b/ Structures
Les ≠ chansons sont assez répétitives (en général refrain + vers intercalés/répétés). Chansons populaires, faciles à mémoriser, structure très répétitive. Eléments nouveaux arrivent peu à peu au fil de chanson, lentement. Le récit et sa progression ne tient pas une place fondamentale dans ces chansons.
B fait à l’opposé une chanson avec une vraie narration, sans répétitions : pas une seule fois 2 vers identiques. Prend contre-pied en qq sorte.
Condense chaque chanson en une §, chanson de B = 5 chanson, la sienne + les 4 populaires. Façon de dire qu’une chanson est toujours construite sur ≠ chansons écrites avant, valable pour toute la littérature.
4 chansons en forme de ronde, semblent tourner en rond ; celle de B, même si reproduit 4 fois le même schéma (=idée de départ de la chanson est fausse en réalité), c’est une chanson linéaire, où il y une vraie progression : en effet, §4 ne se comprend que après les 3 1e cf « Voulant mener à bonne fin / Ma folle course vagabonde ». ronde => ligne, ritournelle => narration.
§2 messieurs d’Avignon abandonnent les danses, notamment tarentelles et sardanes qui se dansent en rond. Vers de la chanson miment structure de la nouvelle chanson, abandon de la forme ronde au profit de la forme linéaire. Dimension métatextuelle de ces vers.

2/ désillusion

a/ jeux de références

§ par § pour faire plus simple,
je signale en gras ce qui est repris chez B, texte de la chanson de départ en annexe :


1/ J'ai pris la route de Dijon
Pour voir un peu la Marjolaine,
La belle digue digue don,
Qui pleurait près de la fontaine.
Mais elle avait changé de ton,
Il lui fallait des ducatons
Dedans son bas de laine
Pour n'avoir plus de peine.
Elle m'a dit : «Tu viens, chéri ?
Et si tu me payes un bon prix.
Aux anges je t'emmène,
Digue digue don daine. »
La Marjolaine pleurait surtout
Quand elle n'avait pas de sous.
La Marjolaine de la chanson
Avait de plus nobles façons.


Histoire originale = Marjolaine, auprès d’une fontaine sur la route de Dijon est triste, tout le bataillon la réconforte, on comprend bien ce que cela veut dire… et c’est bien pour cela que le « je » est allé sur la route de Dijon pour la voir ; dans l’espoir d’essayer de la cajoler.
Histoire revisitée = la Marjolaine est une fille de joie (pleure seulement quand elle est fauchée) => jeu de mots sur pleurer / joie.
Cl° = déception.

2/ J'ai passé le pont d'Avignon
Pour voir un peu les belles dames
Et les beaux messieurs tous en rond
Qui dansaient, dansaient, corps et âmes.
Mais ils avaient changé de ton,
Ils faisaient fi des rigodons,
Menuets et pavanes,
Tarentelles, sardanes,
Et les belles dames m'ont dit ceci :
« Étranger, sauve-toi d'ici
Ou l'on donne l'alarme
Aux chiens et aux gendarmes !
Quelle mouche les a donc piquées,
Ces belle dames si distinguées ?
Les belles dames de la chanson,
Avaient de plus nobles façons.

Histoire originale = tout le monde danse en rond. Les belles dames (etc…) « font comme ça / Et puis encore comm' ça ». Le verbe faire est tellement vague que le « je » se met à tout imaginer : remarquez l’attention du « je » se porte presque exclusivement sur les belles dames, alors que le principe de la chanson est de pouvoir passer en revue toutes les professions. Compagnie du pont d’Avignon est accueillante ouverte à tous.
Histoire revisitée = compagnie sectaire et xénophobe, « je » ne pourra pas tenter de séduire les belles dames. La seule profession qui apparait est celle des gendarmes => désillusion là encore. (B aime particulièrement les gendarmes…)

3/ Je me suis fait faire prisonnier,
Dans les vieilles prisons de Nantes,
Pour voir la fille du geôlier,
Qui parait-il, est avenante.
Mais elle avait changé de ton,
Quand j'ai demandé : « Que dit-on
Des affaires courantes,
Dans la ville de Nantes ? »
La mignonne m'a répondu :
« On dit que vous serez pendu
Aux matines sonnantes,
Et j'en suis bien contente !»
Les geôlières n'ont plus de cœur
Aux prisons de Nantes et d'ailleurs.
La geôlière de la chanson
Avait de plus nobles façons.

Histoire originale = dans la prison de Nantes la fille du geôlier aide un condamné à s’échapper, il en reste amoureux.
Histoire revue = la geôlière est un peu sadique, mais pas du tout plaisante…

4/ Voulant mener à bonne fin
Ma folle course vagabonde
Vers mes pénates je revins,
Pour dormir auprès de ma blonde.
Mais elle avait changé de ton,
Avec elle, sous l'édredon
Il y avait du monde
Dormant près de ma blonde.
J'ai pris le coup d'un air blagueur,
Mais en cachette dans mon cœur
La peine était profonde,
Le chagrin lâchait la bonde.
Hélas! du jardin de mon père
La colombe s'est fait la paire…
Par bonheur, par consolation,
Me sont restées les quatre chansons.

HO = il fait bon revenir auprès de sa blonde, dans son lit…
HR = le lit est maintenant occupé par quelqu’un d’autre. La blonde est infidèle.

Le refrain : « Avait de plus nobles façons. » Sorte de nostalgie, déception et surtout désillusion : c’était mieux dans la chanson. Les « joyeusetés » ne sont plus possibles.
// avec 2 autres chansons de B cf annexe : « La rose, la bouteille et la poignée de main » + « Ballade des dames du temps jadis » (texte de François Villon, chanté par B.)
Autre point sur le refrain : dernière phrase de chaque § qui est reprise : cette forme est une forme connue et ancienne = la ballade, comme la ballade de Villon évoquée plus haut. B fait un jeu de mots entre « ballade » (la forme poétique) et « balade » (la promenade) : en effet son texte est à la fois une ballade, par sa forme, et une balade aux quatre coins de France (cf tous les noms de ville apparaissant dans le texte et dans ceux des 4 chansons). Son texte est une balade en chanson, ou plutôt, une balade en ballade.


3/ la leçon de lecture : du côté de Proust ?

a/ même leçon que chez Proust ou Mme Bovary : on ne peut pas faire de sa vie un roman, ou bien faire dans sa vie come dans la chanson, est « mauvais lecteur », celui qui se laisse abuser par les (très) belles promesses de plaisir que nous font les chansons, la réalité est moins riante. Le poète a voulu vivre ce que les 4 chansons racontent => échec total.
 Il ne faut pas croire ce que disent les chansons

b/ rôle des chansons alors ?
cf derniers vers : chanson = ce qui console, Chanson qui donne le plaisir gratuitement (≠ Marjolaine), plaisir que les vraies dames (du réel) ne donnent pas.
Chanson = ce qui permet de rêver, à quoi ? à un monde meilleur que celui de la réalité, monde qu’elles nous décrivent.
C’est l’imaginaire qui doit avoir le dernier mot.

c/ Problème
il ne faut pas croire ce que disent les chansons.
Or c’est une chanson qui nous le dit, donc il y a un doute => // syllogisme du Crétois, qui est un cas de logique pure. Voici en quoi cela consiste :

Un Crétois dit « tous les Crétois mentent », donc le Crétois ment et donc les Crétois ne mentent pas. Ainsi ce Crétois, qui ne ment pas, il nous dit la vérité, donc les Crétois mentent, donc il ment, donc les Crétois disent la vérité, donc il dit la vérité, donc les Crétois mentent donc il dit la vérité donc les Crétois mentent, donc il ment, donc les Crétois disent la vérité, donc il dit la vérité, donc les Crétois mentent, donc il dit la vérité, donc les Crétois mentent, donc il ment, donc les Crétois disent la vérité, donc il dit la vérité, donc les Crétois mentent donc il dit la vérité donc les Crétois mentent, donc il ment, donc les Crétois disent la vérité, donc il dit la vérité, donc les Crétois mentent donc il dit la vérité donc les Crétois mentent, donc il ment, donc les Crétois disent la vérité, donc il dit la vérité, donc les Crétois mentent donc il dit la vérité donc les Crétois mentent, donc il ment, donc les Crétois disent la vérité, donc il dit la vérité, donc les Crétois mentent donc il dit la vérité donc les Crétois mentent, donc il ment, donc les Crétois mentent, donc il dit la vérité, donc les Crétois mentent, donc il ment, donc les Crétois disent la vérité, donc il dit la vérité, donc les Crétois mentent donc il dit la vérité donc les Crétois mentent, donc il ment, donc les Crétois disent la vérité, donc il dit la vérité, donc les Crétois mentent donc il dit la vérité donc etc… ad infinitum

C’est le même principe avec la chanson de B :
La chanson dit « les chansons mentent » donc elle ment puisque c’est elle-même une chanson, donc ce qu’elle dit est faux, donc les chansons disent la vérité donc elle dit la vérité donc les chansons mentent donc elle ment donc les chansons disent la vérité donc elle dit la vérité donc les chansons mentent donc elle ment, donc les chansons disent la vérité donc elle dit la vérité donc les chansons mentent donc elle ment donc les chansons disent la vérité donc elle dit la vérité donc les chansons mentent donc elle ment, donc les chansons disent la vérité donc elle dit la vérité donc les chansons mentent donc elle ment donc les chansons disent la vérité donc elle dit la vérité donc les chansons mentent donc elle ment, donc les chansons disent la vérité donc elle dit la vérité donc les chansons mentent donc elle ment donc les chansons disent la vérité donc elle dit la vérité donc les chansons mentent donc etc…

Bref au final, il est impossible de trancher s’il faut ou non croire les chansons. Au fond, B croit qu’il ne faut pas se laisser prendre aux pièges par les belles histoires que nous racontent les chansons, il pense comme Proust, comme Flaubert, mais c’est comme s’il avait encore envie d’y croire.
« Je sais qu’il ne faut pas y croire, mais j’ai quand même envie d’y croire ». Le réel est bien triste à côté de l’imaginaire. Il faut ainsi sauver les pouvoirs de l’imagination pour pouvoir vivre ici-bas, on a besoin de croire en un ailleurs pour vivre ici.


Cl° bis
La fiction est nécessaire pour supporter le réel. C’est à mon sens la conclusion finale que l’on peut tirer de ce texte à propos de la lecture. La lecture est une respiration.
Au fond, Cervantes, Flaubert et Proust nous disaient la même chose déjà : Don Quichotte meurt au moment où il ne peut plus vivre ses « folies », ses folies semblent lui être vitales, donc il est peut-être fou mais pas totalement insensé ; en tout cas, Cervantes ne lui donne pas totalement tort.
Fl et Pr mettent en garde contre l’idée de vouloir vivre comme dans les romans, mais ils écrivent eux-mêmes des romans. Ils ne donnent pas tort aux romans bien entendu : les romans sont « dangereux » uniquement si on les utilise mal, mais ils sont aussi indispensables : « La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent pleinement vécue, c’est la littérature. » Proust, RTP, Pléiade, IV, p. 474.


La dernière partie sur les mauvais lecteurs arrive bientôt : ils vont prendre leur revanche.
Suite au prochain épisode.
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T. Barège





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MessageSujet: cours mauvais lecteurs 2 annexes (T. Barège)   cours mauvais lecteurs (T. Barège) EmptyMar 5 Mai - 12:56

Annexe cours « mauvais lecteurs » 2 : Textes des 4 Chansons + texte de Brassens / Villon


Sur la route de Dijon
- Sur la route de Dijon
La belle diguedi, la belle diguedon
Sur la route de Dijon
La belle diguedi, la belle diguedon
Il y avait une fontaine
La diguedondaine
Il y avait une fontaine
Aux oiseaux, aux oiseaux

- Près d’elle un joli tendron
La belle diguedi, la belle diguedon
Près d’elle un joli tendron
La belle diguedi, la belle diguedon
Pleurait comme une madeleine
La diguedondaine
Pleurait comme une madeleine
Aux oiseaux, aux oiseaux

- Passe par là un bataillon
La belle diguedi, la belle diguedon
Passe par là un bataillon
La belle diguedi, la belle diguedon
Qui chantait à perdre haleine
La diguedondaine
Qui chantait à perdre haleine
Aux oiseaux, aux oiseaux

- Belle, comment vous nomme-t-on ?
La belle diguedi, la belle diguedon
Belle, comment vous nomme-t-on ?
La belle diguedi, la belle diguedon
On me nomme Marjolaine
La diguedondaine
On me nomme Marjolaine
Aux oiseaux, aux oiseaux

- Marjolaine c’est un doux nom
La belle diguedi, la belle diguedon
Marjolaine c’est un doux nom
La belle diguedi, la belle diguedon
S’écria un capitaine
La diguedondaine
S’écria un capitaine
Aux oiseaux, aux oiseaux

- Marjolaine qu’avez vous donc ?
La belle diguedi, la belle diguedon
Marjolaine qu’avez vous donc ?
La belle diguedi, la belle diguedon
Messieurs j’ai beaucoup de peine
La diguedondaine
Messieurs j’ai beaucoup de peine
Aux oiseaux, aux oiseaux

- Paraît que tout l’bataillon
La belle diguedi, la belle diguedon
Paraît que tout l’bataillon
La belle diguedi, la belle diguedon
Consola la Marjolaine
La diguedondaine
Consola la Marjolaine
Aux oiseaux, aux oiseaux

- Si vous passez par Dijon
La belle diguedi, la belle diguedon
Si vous passez par Dijon
La belle diguedi, la belle diguedon
Allez boire à la fontaine
La diguedondaine
Allez boire à la fontaine
Aux oiseaux, aux oiseaux



Sur le pont d'Avignon
1. Sur le pont d'Avignon,
L'on y danse, l'on y danse,
Sur le pont d'Avignon
L'on y danse tout en rond.
Les beaux messieurs font comme ça
Et puis encore comme ça.
Sur le pont d'Avignon
L'on y danse tout en rond.
2. Sur le pont d'Avignon,
L'on y danse, l'on y danse,
Sur le pont d'Avignon
L'on y danse tout en rond.
Les belles dames font comme ça
Et puis encore comme ça.
Sur le pont d'Avignon,
L'on y danse, l'on y danse,
Sur le pont d'Avignon
L'on y danse tout en rond.
(...)

Les jardiniers font comm' ça
Et puis encore comm' ça
(...)

Les couturiers font comm' ça
Et puis encore comm' ça
(...)

Les vignerons font comm' ça
Et puis encore comm' ça
(...)

Les blanchisseus's font comm' ça
Et puis encore comm' ça
(...)

Les officiers font comme ça
Et puis encore comm' ça
(...)

Les bébés font comme ça
Et puis encore comm' ça
(...)

Les musiciens font comme ça
Et puis encore comm' ça
(...)

Et les abbés font comme ça
Et puis encore comm' ça
(...)

Et les gamins font comme ça
Et puis encore comm' ça
(...)

Les Laveuses font comme ça
Et puis encore comm' ça
Etc…


Dans la prison de Nantes

Dans la prison de Nantes
|: Tam de de li de lam Neutral
Dans la prison de Nantes
|: Y'avait un prisonnier. Neutral
2. Personne venait le voir
|: Tam de de li de lam Neutral
Personne venait le voir
|: Que la fille du geôlier. Neutral

3. Dites-moi donc la belle
|: Tam de de li de lam Neutral
Dites-moi donc la belle
|: Demain si je mourrais. Neutral

4. Puisque je meurs demain
|: Tam de de li de lam Neutral
Puisque je meurs demain
|: Lâchez-moi donc les pieds. Neutral
5. Quand il eut les pieds lâchés
|: Tam de de li de lam Neutral
Quand il eut les pieds lâchés
|: A la mer s'est jeté. Neutral
6. A la première plonge
|: Tam de de li de lam Neutral
A la première plonge
|: Il a failli s'noyer. Neutral

7. A la deuxième plonge
|: Tam de de li de lam Neutral
A la deuxième plonge
|: Le mer a traversé. Neutral

8. Quant il fut sur les côtes
|: Tam de de li de lam Neutral
Quant il fut sur les côtes
|: Y's'est mis à chanter. Neutral

9. Si jamais j'y retourne
|: Tam de de li de lam Neutral
Si jamais j'y retourne
|: Oui je l'épouserai. Neutral

Auprès de ma blonde

Dans les jardins d'mon père, les lilas sont fleuris, (bis)
Tous les oiseaux du monde vienn't y faire leurs nids.

Auprès de ma blonde,
Qu'il fait bon, fait bon, fait bon,
Auprès de ma blonde,
Qu'il fait bon dormir.

Tous les oiseaux du monde vienn't y faire leurs nids (bis)
La caill', la tourterelle, et la jolie perdrix.

REFRAIN : Auprès de...

La caill', la tourterelle, et la jolie perdrix, (bis)
Et ma jolie colombe, qui chante jour et nuit.

REFRAIN

Et ma jolie colombe, qui chante jour et nuit, (bis)
Ell' chante pour les filles qui n'ont pas de mari.

REFRAIN

Ell' chante pour les filles qui n'ont pas de mari, (bis)
Pour moi ne chante guère, car j'en ai un joli.

REFRAIN

Pour moi ne chante guère, car j'en ai un joli, (bis)
Mais dites-moi donc belle, ou est votre mari ?

REFRAIN

Mais dites-moi donc belle, ou est votre mari ? (bis)
Il est dans la Hollande, les hollandais l'ont pris !

REFRAIN

Il est dans la Hollande, les hollandais l'ont pris ! (bis)
Que donneriez vous belle à qui l'ira quéri ?

REFRAIN

Que donneriez vous belle à qui l'ira quéri ? (bis)
Je donnerais Touraine, Paris et Saint-Denis.

REFRAIN

Je donnerais Touraine, Paris et Saint-Denis, (bis)
Les tours de Notre-Dame, le clocher de mon pays.

REFRAIN

Les tours de Notre-Dame, le clocher de mon pays. (bis)
Et ma jolie colombe qui chante jour et nuit.

REFRAIN

La rose, la bouteille et la poignée de main
Cette rose avait glissé de
La gerbe qu'un héros gâteux
Portait au monument aux Morts.

Comme tous les gens levaient leurs
Yeux pour voir hisser les couleurs,
Je la recueillis sans remords.

Et je repris ma route et m'en allai quérir,
Au p'tit bonheur la chance, un corsage à fleurir.
Car c'est une des pir's perversions qui soient
Que de garder une rose par-devers soi.

La première à qui je l'offris
Tourna la tête avec mépris,
La deuxième s'enfuit et court
Encore en criant "Au secours! "

Si la troisième m'a donné
Un coup d'ombrelle sur le nez,
La quatrième, c'est plus méchant,
Se mit en quête d'un agent.

Car, aujourd'hui, c'est saugrenu,
Sans être louche, on ne peut pas
Fleurir de belles inconnu's.

On est tombé bien bas, bien bas...

Et ce pauvre petit bouton
De rose a fleuri le veston
D'un vague chien de commissaire,
Quelle misère!
Cette bouteille était tombé'
De la soutane d'un abbé
Sortant de la messe ivre mort.

Une bouteille de vin fin
Millésimé, béni, divin,
Je la recueillis sans remords.

Et je repris ma route en cherchant, plein d'espoir,
Un brave gosier sec pour m'aider à la boire.
Car c'est une des pir's perversions qui soient
Que de garder du vin béni par-devers soi.

Le premier refusa mon verre
En me lorgnant d'un ?il sévère,
Le deuxième m'a dit, railleur,
De m'en aller cuver ailleurs.

Si le troisième, sans retard,
Au nez m'a jeté le nectar,
Le quatrième, c'est plus méchant,
Se mit en quête, d'un agent.

Car, aujourd'hui, c'est saugrenu,
Sans être louche, on ne peut pas
Trinquer avec des inconnus.
On est tombé bien bas, bien bas...

Avec la bouteille de vin fin
Millésimé, béni, divin,
Les flics se sont rincé la dalle,
Un vrai scandale!
Cette pauvre poigné' de main
Gisait, oubliée, en chemin,
Par deux amis fâchés à mort.

Quelque peu décontenancé',
Elle était là, dans le fossé.
Je la recueillis sans remords.

Et je repris ma route avec l'intention
De faire circuler la virile effusion,
Car c'est une des pir's perversions qui soient
Qu' de garder une poigné' de main par-devers soi.

Le premier m'a dit: "Fous le camp !
J'aurais peur de salir mes gants."
Le deuxième, d'un air dévot,
Me donna cent sous, d'ailleurs faux.

Si le troisième, ours mal léché,
Dans ma main tendue a craché,
Le quatrième, c'est plus méchant,
Se mit en quête d'un agent.

Car, aujourd'hui, c'est saugrenu,
Sans être louche, on ne peut pas
Serrer la main des inconnus.

On est tombé bien bas, bien bas...
Et la pauvre poigné' de main,
Victime d'un sort inhumain,
Alla terminer sa carrière
A la fourrière!


BALLADE DES DAMES DU TEMPS JADIS (François Villon, Testament)

Dites-moi où, n'en quel pays
Est Flora la belle Romaine,
Archipïades ne Thaïs
Qui fut sa cousine germaine;
Écho, parlant quand bruit on mène
Dessus rivière ou sur étang,
Qui beauté ot trop plus qu'humaine.
Mais où sont les neiges d'antan?

Où est la très sage Héloïs,
Pour qui fut châtré et puis moine
Pierre Esbaillart à Saint-Denis?
Pour son amour ot cette essoine.
Semblablement, où est la roine
Qui commanda que Buridan
Fût jeté en un sac en Seine?
Mais où sont les neiges d'antan?

La roine blanche comme lis
Qui chantait à voix de seraine,
Berthe au plat pied, Bietrix, Aliz,
Haramburgis qui tint le Maine,
Et Jeanne, la bonne Lorraine
Qu'Anglois brûlèrent à Rouen,
Où sont-ils, où, Vierge souveraine?
Mais où sont les neiges d'antan?
Prince, n'enquerrez de semaine
Où elles sont, ne de cet an,
Qu'à ce refrain ne vous remaine:
Mais où sont les neiges d'antan?
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T. Barège





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MessageSujet: cours mauvais lecteurs 3 (T. Barège)   cours mauvais lecteurs (T. Barège) EmptyMar 5 Mai - 12:59

(désolé pour les smileys de l'envoi précédent : voilà ce qui arrive lorsque l'on reprend les textes sur le net.)

Suite cours « lecture » 3

1.4. La revanche des « mauvais lecteurs » ? ou vive l’imagination.

Je concluais la partie précédente sur l’idée que La fiction est nécessaire pour supporter le réel.
C’est sont autour d’exemples faisant la part belle à l’imagination, qui n’est plus alors seulement « la folle du logis », mais une faculté aussi noble que les autres, que ce 1.4. va s’articuler.
Proust disait à propos de la jalousie : « Ce qui est affreux, c’est ce qu’on ne peut pas imaginer. » RTP I, 359. Si l’on détourne, à peine, le contexte, on revient à l’idée que la fiction est le complément obligé du réel, voire que la fiction va sauver le réel.

1.4.1. Wang-Fô

Vous avez la nouvelle de Yourcenar en polycopié. Analyse du texte, éléments principaux, surtout en rapport avec notre thème. Parcours linéaire.

P11 : « WF aimait les images des choses, non les choses elles-mêmes » passage fondamental => introduit thème de la représentation et de sa supériorité sur le réel. Il faut bien avoir à l’esprit que peindre un tableau c’est l’équivalent d’écrire un roman : c’est créer de l’illusion. A sa façon WF est un lecteur créateur.
Peu à peu tout au long du texte, thème de la « réalité » de la représentation : fin §2 p11 : toiles finissent par acquérir un poids.

P12 : Ling, à la fois ≠ et // à WF : sa richesse le rend propriétaire de ce qu’il y a de mieux, sa vie semble parfaite pour ce qui est du réel (même plus à supporter les beaux-parents !) ;

P13 : révélation pour Ling. Dimension presque religieuse = quittera tout par la suite (p14-15) pour suivre le maître (comme pour une sorte d’ascèse) qui lui a fait « cadeau d’une âme et d’une perception neuve ».
→ réel s’avère décevant p/ représentation. // Emma Bovary qui trouve que sa vie à Yonville est atroce p/ ses romans. Ling préfère les portraits de sa femme que fait WF à la femme elle-même (p14).
// aussi avec Proust pour qui tout art, y compris et surtout la littérature, est affaire de vision, de perception et non de technique.

P15 encore dans la dimension métaphorique « On disait que WF avait le pouvoir de donner vie à ses peintures par une dernière touche de couleur qu’il ajoutait à leurs yeux. » On disait que = domaine de la croyance = il y a un doute sur ce qui est raconté, les peintures ne sont pas vraiment vivantes ; on peut penser que l’expression « donner vie » est une façon de parler (langage métaphorique).

P19 : histoire de l’Empereur. Doit vous rappeler l’allégorie de la caverne de Platon et La vie est un songe de Calderón. Elevé dans l’illusion (pour lui, monde = peintures de WF) jusqu’à ses 16 ans. A ce moment-là = désillusion, le monde est moins beau que les peintures (cf p21 : les nuages « étaient moins beaux que ceux de tes crépuscules »).
Problème de l’Empereur : il ne peut pas comprendre la bénédiction qu’est la peinture de WF parce qu’il n’a rien connu d’autre avant. Il tombe (comme la Chute de la Bible) du Paradis (esthétique) de l’enfance dans le monde imparfait da l’âge adulte. Ayant connu d’emblée le sublime, il n’a plus rien à espérer dans cette vie, qui n’est pour lui, qu’un long fleuve de nostalgie à la recherche du « décor » de son enfance où les couleurs étaient plus vives. Comme frappé d’une malédiction, la vie pour lui n’a plus aucun attrait, elle est continuellement placée sous le signe de l’ennui (« dégoûté » p21 ; « le sang des suppliciés est moins rouge que la grenade figurée sur tes toiles » p21). La seule chose qui pourra lui redonner une émotion c’est le chef d’œuvre de WF, d’où sa demande qu’il finisse le tableau inachevé (p.22-23).

A noter p21 // avec Shakespeare :
« Tu m’as menti, WF, vieil imposteur : le monde n’est qu’un amas de taches confuses, jetées sur le vide par un peintre insensé, sans cesse effacées par nos larmes. »
Il y a intertextualité avec un passage célèbre de Mactbeth, V, 5 :
“Life's (…): it is a tale
Told by an idiot, full of sound and fury,
Signifying nothing. »

[La vie (…) est une histoire
Racontée par un idiot, pleine de bruit et de fureur,
Qui n’a aucun sens.]
Cette citation a donné naissance à l’un des romans les plus célèbres de Faulkner, The Sound and the Fury.
// entre 2 citations :
{le monde n’est qu’un amas de taches confuses, jetées sur le vide par un peintre insensé,
{La vie (…) est un histoire racontée par un idiot, pleine de bruit et de fureur, qui n’a aucun sens
Il suffit de transformer les éléments picturaux en éléments narratifs et l’on obtient 2 citations qui sont strictement semblables même si les contextes sont très différents.

P24 changement : tonalité métaphorique => fantastique, imaginaire
Peu à peu dans le texte, la peinture se fait plus réelle, elle a des effets sur le monde et permet au final à WF et Ling de s’échapper.


Dimension allégorique, comme souvent dans les récits fantastiques :

P26 : Empereur aussi « mauvais lecteur » à sa façon. « Ces gens ne sont pas faits pour se perdre à l’intérieur d’une peinture. » Incapable de rêver, son imaginaire est mort (il ne peut pas entrer dans la toile et poursuivre le peintre), il a été brûlé d’avoir été exposé si vite au sublime, brûlé avant d’avoir été formé. L’imaginaire ne peut exister sans que le réel ne lui pré-existe. L’imaginaire est issu du réel, c’est un enfant du réel.

L’imaginaire permet de s’évader du réel (et le texte de Yourcenar prend l’expression au mot, la réalise, puisque les deux héros sortent du réel en entrant dans la toile) ; mais il ne faut pas prendre l’imaginaire pour le réel, ce que l’Empereur a fait, malgré lui. L’Empereur, au final, est comparable à Emma Bovary, il n’a pas su (ou pu) garder la distance critique nécessaire, et donc gâche sa vie, comme certains des héros de Proust.

Sens profond du récit : l’imaginaire permet de se sauver (dans les deux sens : s’échapper et rester en vie), c’est ce qui nous sauve du réel. Sans imagination, pas de bonheur.

1.4.2. La rédemption du réel

On peut dès lors, pousser cette thématique jusqu’à la limite, certains écrivains l’ont fait : la fiction est là non seulement pour sublimer le réel, mais pour le rédimer.

« sublimer le réel » 2 sens → : sens physique, sublimation = passer de l’état solide à l’état gazeux directement, sans passer par l’état liquide (rappel de vos années de lycée). Passer de l’état où la matière est la plus dense à celui où elle est la plus déliée, la plus subtile. En terme littéraires = rendre aérien.
→ : sens général, faire passer d’un état lourd, opaque, peu esthétique à un état le plus élevé sur l’échelle des valeurs esthétiques. Rendre sublime.

« rédimer » → terme de théologie, verbe dont le substantif est rédemption. Sauver l’âme de quelqu’un. Ex : le Christ doit revenir sur Terre pour rédimer les hommes, leur permettre d’accéder au Paradis.
Ici dans ce contexte esthétique, il s’agit de « sauver » le réel, le rendre plus beau par la création artistique, et plus encore il faut que la création / la fiction le transforme.

WF sublime le réel dans sa peinture dans la mesure où le réel paraît fade à côté de sa peinture.
Etape suivante : rédemption ?
Ex : Reinaldo Arenas, Le monde hallucinant.
Ce roman raconte l’histoire de Fray Servando Teresa de Mier, personnage historique qui vécut à la fin du 18° et au début du 19°. Né au Mexique, cet ecclésiastique eut quelques problèmes avec l’autorité religieuse après avoir prononcé un discours qui n’allait pas dans le sens de l’Eglise de Rome. Il est condamné à l’exil dans un couvent espagnol pendant 10 ans. Toute sa vie ne sera que fuite par la suite ou combats politiques.
Ce roman est génial du point de vue narratif, chaque épisode est racontée successivement à la 1e, à la 2e puis à la 3e personne. → multiplication des points de vue etc…
Lorsque le héros se trouve en fâcheuse posture (et c’est souvent le cas), l’écriture, par le biais de l’image poétique, en donnant une vision particulière du réel, le transforme et permet à Servando de se libérer d’une prison par exemple. L’écriture poétique a donc pour rôle ici de rédimer le réel gangréné par le mal. Elle ne permet pas seulement au héros de se sauver (comme pour WF) mais elle sauve aussi le monde du mal et de l’horreur, en offrant un monde meilleur, sur le plan esthétique mais aussi sur le plan éthique.


Cl° finale :

2 catégories de « mauvais lecteurs ».
→ ceux qui ne font pas appel à leur imaginaire. (≈ pas d’imaginaire)
→ ceux qui ne font pas la différence entre réel et fiction / création (si on veut englober tous les arts). (≈ trop d’imaginaire)
Evidemment cela pose problème : pour « entrer » dans une histoire, il faut y croire un minimum, donc où est la limite entre imaginaire tout puissant et imaginaire absent ? tout est une question de dosage subtil. Pour cela que Don Quichotte ne peut pas être totalement condamné, ni totalement avoir tort.

Bon lecteur est celui qui est subtil, qui sait naviguer (ce n’est pas pour rien que la thématique de l’eau est omniprésente dans la nouvelle de Yourcenar) entre le réel et la fiction sans jamais se laisser enfermer dans l’un ou dans l’autre.
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T. Barège





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MessageSujet: cours sur la lecture 4 (T. Barège)   cours mauvais lecteurs (T. Barège) EmptyMar 5 Mai - 13:01

2. Cours sur la lecture : sous-lectures et sur-lectures


Suite du cours. Quelques éléments pour le I) sous-lectures et sur-lectures.

Je vais traiter les c) et d). Je crois que l’on vous a suffisamment parlé de traductions, il faut traiter d’autres points. Quant au a) votre propre expérience de lecteur critique vous suffira pour y répondre ; d’autant qu’il n’y a pas eu d’exposés sur ces sujets.

2.1. Généralités sur la lecture

Un acte de lecture rassemble 3 acteurs : un auteur, un lecteur, un texte. Contrairement à une conversation, c’est un acte différé, il se passe un certain temps entre le moment où le texte est produit (écriture) et le moment où il est lu [sauf pour le cas particulier aujourd’hui des tchats].

Théorie :
L’auteur (A) en écrivant son texte lui donne consciemment un sens ou des sens (SA). Toutefois, son texte contient aussi des sens auxquels il n’aurait pas pensé (SᾹ) (souvenez-vous de Montaigne au cours 1).
Donc SA + SᾹ = totalités des sens du texte (ST).
Le lecteur L1, lui, quand il lit ce texte peut voir une partie de SA par exemple et une partie de SᾹ, il lit SL1.
Lecteur L2, lit encore autre chose, il lit SL2.
Etc…
A chaque lecteur, sa lecture.
Il est évidemment très rare qu’un lecteur lise dans un texte exactement ce qu’y a mis un auteur, le lecteur ne lit presque jamais SA.
A l’opposé, il est également impossible qu’un lecteur lise ST.
ST en réalité est quelque chose d’idéal, de théorique qui équivaut à SA + SL1 + SL2 + … + SLx, à la somme de toutes les lectures possibles. ST augmente avec le nombre de lecteurs.
En théorie, le nombre de lecteurs d’un texte tend vers l’infini, et donc celui de ses sens aussi : quand x → ∞, lim (ST) = ∞.

Mais tout cela c’est la théorie, cela fonctionne uniquement dans le monde de Borges. Dans la réalité, avec des textes réels, ce n’est pas aussi simple.

Limites :
Tous les sens, c’est-à-dire toutes les lectures, ne sont pas acceptables : on nomme lecture, une compréhension établie à partir des éléments contenus dans le texte. En somme, une lecture est une démonstration.
Ex :
Le texte X : « La maison est bleue. » La lecture disant que le texte parle de B. Obama n’est fondée sur aucun élément présent dans le texte : ce n’est donc pas une lecture, mais du « délire interprétatif ».
1er degré du délire interprétatif, relativement évident.
Il existe aussi d’autres niveaux de délires interprétatifs, les contre-sens que l’on peut faire sur un texte (méconnaissance du contexte etc…), cela a déjà dû vous arriver…

Il existe des textes plus ou moins riches, offrant un nombre plus ou moins important de lectures.
Il existe des « textes ouverts » ≠ « textes fermés » (cf Umberto Eco, Lector in Fabula). Les « textes fermés » cherchent à imposer une lecture bien précise ; les éléments du texte sont trop balisés pour permettre d’autres lectures. A l’opposé, le « texte ouvert » laisse suffisamment de libertés au lecteur pour que celui-ci puisse construire une lecture personnelle.
Comment ?
→ il existe ce que les théoriciens de la lecture appellent « les blancs du texte ». C’est à partir de ces blancs (que le lecteur doit combler) que s’élabore la liberté du lecteur. Plus le texte laisse de blancs, plus c’est un texte ouvert, plus le lecteur participe, plus il est libre de produire une lecture personnelle. Plus un texte est ouvert, plus le nombre de lectures « valides » (non délirantes) est donc possible.

Texte fermé (peu de blancs) → Texte ouvert (beaucoup de blancs)



0 → ∞
Nombre de lectures possibles


Le lecteur est aussi le fruit du texte. En effet, pour comprendre un texte, il faut que le lecteur possède certains éléments de connaissance auxquels la compréhension du texte fait appel.
Ex : La divine comédie exige de son lecteur une connaissance minimale de la Bible, connaissance sans laquelle le lecteur « passe à côté » de nombreux éléments du texte.
Le texte construit donc son lecteur : « le lecteur modèle » (toujours Eco) qui possèderait exactement les éléments culturels supposés par le texte. Le lecteur réel, lui, ne se superpose jamais parfaitement sur le lecteur modèle.

2.2. Entrées en lecture

→ cf : Genette, Seuils.
Avant de lire le corps-même d’un livre, on passe par une série d’étapes, de péritextes et de paratextes. Ces éléments sont des sortes de passages obligés, comme des portes par lesquelles on entre dans un texte. Si vous entrez dans un immeuble par la porte de service, vous ne verrez pas de l’immeuble, la même chose que si vous y entrez par la grande porte. Pareil pour un texte.

Paratexte : ce qui « entoure » un texte. Il est composé d’éléments que l’on peut regrouper en deux catégories : péritexte et épitexte. Donc Paratexte = péritexte + épitexte.

péritexte : c’est le paratexte qui est contenu dans le volume du livre, qui n’est pas séparé du livre. Il y a 1) un péritexte d’auteur et 2) un péritexte non-auctorial, en général éditorial.
Ex :
1) titre et sous-titres (encore que, le titre ne faut-il pas partie du texte ? sur ce point je ne suis pas vraiment d’accord avec Genette), nom de l’auteur, préfaces, notes (là encore il faut nuancer, les préfaces et notes de l’auteur ne font-ils pleinement pas partie du texte ? bis, je ne suis pas vraiment d’accord avec Genette ), citations mises en exergue à l’entrée du texte ou des différents chapitres…
2) illustration de couverture, 4° de couverture, nom d’éditeur, nom et notes du traducteur…

épitexte : là encore on pourrait diviser en deux catégories :
• épitexte d’auteur (on réduit souvent l’épitexte à ce seul épitexte d’auteur) : correspondance en rapport avec l’œuvre, entretiens réalisés par l’auteur, journaux etc…
• épitexte non-auctorial : commentaires universitaires etc… Après tout ces commentaires n’influent-ils pas énormément sur notre lecture ?

L’épitexte n’est pas obligatoirement une entrée en lecture, mais il peut l’être lorsque sa lecture précède l’œuvre elle-même. Ne vous est-il pas arrivé de lire un article ou un critique avant de lire le texte littéraire lui-même ?

Dans tous les cas de figures, ce que j’appellerai « l’antétexte » (c’est-à-dire, tout ce qui est lu en rapport avec le texte avant la lecture du texte lui-même : paratexte + entrées en lecture ) oriente notre lecture. L’antétexte est bien sûr propre à chaque lecteur.

Ex : 1/ la critique a tellement insisté sur le fait que Valéry fut un admirateur de Mallarmé, qu’il est difficile, avant même de lire Valéry, de le détacher de Mallarmé ; cela oriente obligatoirement notre lecture de Valéry du côté de Mallarmé.
2/ le grand roman de Joyce s’appelle Ulyses. La référence à l’Odyssée est explicite, mais qui aurait fait le parallèle, ou même en aurait pris conscience si le titre avait été différent ? probablement personne. Notre lecture de Ulyses est commandée par son titre : à cause de ce titre nous cherchons des échos d’Homère dans le roman irlandais (parfois avec bien des difficultés à en trouver !!). Je dirai même que notre lecture est en partie focalisée là-dessus, de manière un peu artificielle. Joyce oriente clairement notre lecture.

2.2.1. Que faire des entrées en lecture ?

1/ elles limitent d’éventuels contre-sens en précisant certains éléments.
2/ elles ouvrent sur d’autres lectures possibles, on l’a vu avec Joyce.
 Elles modifient les blancs du texte et les parcours possibles de lecture.

2.2.2. Lecture critique des entrées en lecture

Voici le début de l’avertissement au lecteur de La vie de Marianne de Marivaux.

« Comme on pourrait soupçonner cette histoire-ci d’avoir été faite exprès pour amuser le public, je crois devoir avertir que je la tiens moi-même d’un ami qui l’a réellement trouvée, comme il le dit ci-après, et que je n’y ai point d’autre part que d’en avoir retouché quelques endroits trop confus et trop négligés. Ce qui est de vrai, c’est que si c’était une histoire simplement imaginée, il y a toute apparence qu’elle n’aurait pas la forme qu’elle a. (…) »

Peu après suit l’incipit « véritable » du roman :

« Avant que de donner cette histoire au public, il faut lui apprendre comment je l'ai trouvée.
Il y a six mois que j'achetai une maison de campagne à quelques lieues de Rennes, qui, depuis trente ans, a passé successivement entre les mains de cinq ou six personnes. J'ai voulu faire changer quelque chose à la disposition du premier appartement, et dans une armoire pratiquée dans l'enfoncement d'un mur, on y a trouvé un manuscrit en plusieurs cahiers contenant l'histoire qu'on va lire, et le tout d'une écriture de femme. On me l'apporta ; je le lus avec deux de mes amis qui étaient chez moi, et qui depuis ce jour-là n'ont cessé de me dire qu'il fallait le faire imprimer : je le veux bien, d'autant plus que cette histoire n'intéresse1 personne. Nous voyons par la date que nous avons trouvée à la fin du manuscrit, qu'il y a quarante ans qu'il est écrit ; nous avons changé le nom de deux personnes dont il y est parlé, et qui sont mortes. Ce qui y est dit d'elles est pourtant très indifférent ; mais n'importe : il est toujours mieux de supprimer leurs noms.
Voilà tout ce que j'avais à dire : ce petit préambule m'a paru nécessaire, et je l'ai fait du mieux que j'ai pu, car je ne suis point auteur, et jamais on n'imprimera de moi que cette vingtaine de lignes-ci.
Passons maintenant à l'histoire. C'est une femme qui raconte sa vie ; nous ne savons qui elle était. C'est la Vie de Marianne ; c'est ainsi qu'elle se nomme elle-même au commencement de son histoire ; elle prend ensuite le titre de comtesse ; elle parle à une de ses amies dont le nom est en blanc, et puis c'est tout. »

On l’aura compris, ce dispositif textuel dit la chose suivante : un éditeur a publié un texte trouvé par un de ses amis vers Rennes, texte autobiographique écrit par une certaine Marianne.
En réalité, ce dispositif utilise tous les poncifs du « manuscrit trouvé » : thème très prisé au XVIIIe siècle : nombre de romans se prétendent des manuscrits authentiques trouvés. L’éditeur publie un manuscrit trouvé par un ami, « si cela avait été un roman, cela aurait été mieux écrit », etc… c’est vieux comme le roman.
Tout cela est fictif, c’est une invention de Marivaux qui est l’auteur de l’avertissement, de l’incipit et de la Vie de Marianne. Donc les entrées en lecture sont à lire aussi avec un certain esprit critique. D’ailleurs, à l’époque déjà, plus personne n’est dupe. Ceci n’est qu’un exemple bien évident.

2e ex : Leiris, L’Age d’homme
L’Age d’homme est une autobiographie écrite de 1930 à 1935, publié en 1939. A l’époque il renouvelle beaucoup les règles du genre : elle est rédigée en chapitres, aborde ouvertement la vie sexuelle, et la vie en général dans toute sa médiocrité etc… A l’époque, un tel « déballage » de sa vie intime pouvait sembler demander un certain courage.
La publication de 1939, compte tenu des circonstances historiques est un peu passée inaperçue. Lors de la réédition en 1945, Leiris a écrit une préface « De la littérature considérée comme une tauromachie » pour justifier cette entreprise littéraire en regard à ce qui venait de se passer en Europe et expliquer le risque pris à dévoiler sa vie intime. Ce risque est assimilé à une corne de taureau, d’où la tauromachie. Or on sent bien que Leiris lui-même n’est pas vraiment convaincu par sa préface ; donc nous-mêmes sommes obligés de garder une certaine distance critique : Leiris s’inscrit en fait dans une nouvelle conception de la littérature, celle de la littérature comme engagement, comme prise de risque, conception qui est celle de Sartre et qui domine toute l’après-guerre en France.

2.3. Lectures de seconde main

Partons d’un test simple : combien de personnes n’ayant pas lu, Roméo et Juliette, par exemple, en connaissent plutôt bien l’histoire ? D’autre part, je suis bien certain que vous auriez bien du mal à résumer un livre que vous avez lu il y a deux ans, peut-être même il y a six mois. Poussons le vice jusqu’au bout. Combien d’entre vous pourraient parler assez précisément de la divine Comédie ? alors qu’ils ne l’ont pas lue ! (allez, levez le doigt…)
Le simple fait d’avoir suivi des cours sur une œuvre peut vous amenez à la connaître mieux que si vous l’aviez lue, même relativement sérieusement.

Ce sont les paradoxes que Pierre Bayard énonce dans son essai Comment parler des livres que l’on n’a pas lus ?

Contrairement à ce qui a pu être compris de cet essai au moment de sa sortie, il ne s’agit pas d’un appel à ne plus lire, de dire que la lecture est inutile. Il s’agit au contraire de nous interroger sur notre capacité de lecteur et sur ce que l’on retient d’une lecture.
→ montrer aussi que relation livre/lecteur pas totalement personnelle.
→ il y aussi ce que l’on pourrait nommer une lecture collective des œuvres : sorte de consensus à propos d’un texte et de ce qu’il dit.
Mais problème de ce consensus : il n’est pas toujours juste. La « lecture collective » (appelons-la ainsi) qui semblerait avoir fait ses preuves (par le nombre des lecteurs ou le temps écoulé auquel elle a résisté) est parfois moins légitime qu’une lecture personnelle.
2 ex :
→ on entend souvent parler de situation « kafkaïenne », au sens de « déroutant, absurde, qui marche à l’envers » donc dans le savoir collectif (au moins français), Kafka = déroutant, absurde, qui marche à l’envers. On utilise l’adjectif sans qu’il soit nécessaire d’avoir lu Kafka auparavant, au contraire même peut-être, car une fois que l’on a lu Kafka, on a du mal à utiliser l’adjectif de cette manière. Parce que l’on ne retrouve pas toujours le Kafka que l’on a lu dedans.
→ « dantesque » est souvent employé au sens de « cataclysmique, infernal, effroyable et grandiose ». Tout cela n’est en réalité valable que pour L’Enfer. Tout le reste de l’œuvre de Dante est en parfaite contradiction avec le sens que l’on donne à l’adjectif qui est symptomatique de la lecture française de Dante, qui en général, se résume à l’Enfer. Au point même de décevoir certains lecteurs qui, partant avec cette idée de Dante, sont déçus dès la montée du Purgatoire. Ici la « lecture collective » faisant de l’essentiel de la Divine comédie, l’Enfer se trompe, commet un parfait contre-sens, comme nous l’avons vu.

Ce que j’appelais « l’antétexte » nous permet effectivement d’avoir une certaine connaissance d’une œuvre, mais certainement pas d’en avoir une connaissance personnelle. Une grande partie de chaque antétexte ne fait que reproduire des clichés, des idées toutes faites concernant une œuvre ou un auteur.

Enfin, il reste aussi le plaisir de lire, à consommer sans modération.

Cl° : il n’y en a pas, car il n’y a pas à conclure cette discussion qui reste ouverte.
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